Les deux Saint-Jean

 

Depuis que je suis entré en franc-maçonnerie, j’entends parler, à intervalles réguliers, de Saint-Jean ou plus exactement des deux saint Jean.

Je me suis demandé pourquoi et j’ai trouvé trois thèmes qui, à mon sens, délivrent chacun un message.

Ce sont les loges de Saint-Jean, Janus et la lumière.

 

LES LOGES DE SAINT-JEAN

 

« Frère premier surveillant, comment s’appelle la loge ?

–         Vénérable maître la loge de Saint Jean, pourquoi ?

–         Parce que Saint Jean-Baptiste et Saint Jean l’Evangéliste ont été les patrons des anciens maçons.

–         Allez-vous plus loin ?

–         Saint Jean Baptiste est le précurseur de la lumière, Saint Jean l’Evangéliste, disciple du maître, est celui qui a rendu témoignage de la lumière et qui a été choisi pour transmettre aux hommes l’Evangile de l’amour. Il est enfin considéré comme un initié parfait »

 

C’est par ces phrases que les anciens maçons du rite écossais commençaient leur travail en loge.

La référence la plus ancienne relevée concernant le patronage de Saint-Jean chez les maçons opératifs remonte à 1427 où on apprend que le  parlement anglais supprima certaines assemblées de franc-maçon et qu’une grande réunion eut lieu le jour de la Saint-Jean pour protester.

L’importance donnée à Saint-Jean dans la maçonnerie spéculative apparaît dès le début de celle-ci au 18ème siècle. La constitution de la grande loge de Londres, en 1717, eut lieu le jour de la Saint jean-Baptiste.

Pour certains auteurs, c’est parce que nous étions unis aux templiers puis aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem qu’il est fait référence à Saint-Jean en franc maçonnerie. On peut raisonnablement en douter, même si un lien fort existait en raison de la présence de nombreux maçons dans les commanderies où de nombreux édifices furent construits, les templiers pouvant accorder des franchises aux ouvriers. On peut noter, par ailleurs, que l’origine du mot templier proviendrait du fait que les moines soldats qui créèrent l’ordre auraient été logés sur l’emplacement du temple de Salomon. Enfin, on peut souligner que le saint patron des templiers est Saint-Jean l’Evangéliste.

En réalité, la franc maçonnerie ne pouvait qu’être chrétienne et plus précisément catholique car l’Europe qui vit naître la franc maçonnerie était largement chrétienne. Cette appartenance religieuse et spirituelle a imprégné l’ensemble de notre histoire et de notre pensée.

L’Evangile de Saint-Jean est mentionné, dès la fin du 17ème siècle dans le manuscrit d’Edimbourg qui énonce que « le maçon doit prêter serment sur Saint-Jean »

Les constitutions d’Anderson de 1723 rappellent  que les maçons doivent se réunir lors de l’une des deux Saint-Jean pour élire le grand maître.

On sent, toutefois, percer une maçonnerie protestante au travers notamment des pasteurs Anderson et Desaguliers.

Cette évolution ne fut pas étrangère à la condamnation de la Franc-Maçonnerie par le pape Clément XII, qui dans la première bulle d’excommunication, fait état du risque que font courir à la foi catholique des assemblées où se mêlent des gens de toutes les religions. C’est pour cette raison que les loges françaises d’origine anglaise s’émancipèrent de la grande loge de Londres.

C’est au début du 19ème siècle que s’effectue un tournant décisif dans l’histoire de la Franc-Maçonnerie. Après la révolution, les catholiques se détachent lentement de la Franc-Maçonnerie, cette désaffection donnant progressivement la majorité dans les loges aux libres penseurs.

Si, Au XVIII siècle, les fêtes de l’ordre organisées  à la Saint-Jean consistaient essentiellement en une messe suivie d’une tenue solennelle, où les officiers étaient élus, et d’un banquet, peu à peu, le rituel se déchristianise plus ou moins nettement selon les obédiences. C’est ainsi que les fêtes de la Saint-Jean auraient perdu de leur éclat mais surtout de leur caractère religieux

Dans le bulletin périodique de la région 11, on trouve dans l’intitulé de plusieurs loges une référence à Saint-Jean. Il s’agit de Saint-Jean Les vrais amis (GODF Saint-Etienne), Saint-Jean du monde (GLDF Lyon), Saint-Jean du croissant la lumière retrouvée (Pont de vaux), les 7 chevaliers de jean (GLTS Opéra) et la lumière de Jean. Aucune loge au droit humain ne fait  référence à Saint-Jean.

Le terme de loge de Saint-Jean n’est plus employé aujourd’hui en tout cas au droit humain dans notre constitution ou nos règlements généraux. On utilise le terme loge bleue et parfois même loge symbolique.

 

JANUS

 

Il est représenté dans notre temple sur le plateau d’éloquence.

Son culte s’est transmis de façon occulte des corporations de métiers du monde antique, les collégia fabrorum, aux bâtisseurs des cathédrales qui en feront eux-mêmes bénéficier les ordres initiatiques comme la Franc-Maçonnerie

Janus est l’un des dieux romains les plus anciens. On ne sait pas exactement  quand et comment il est né, c’était il y a environ 2000, 3000ou même 4000 ans

La Rome archaïque lui vouait un culte qui peut laisser entendre qu’il était le plus grand des dieux.

Selon la légende, premier roi du Latium, il accueille avec bonté Saturne, dieu du destin, chassé du ciel. Pour le remercier de son hospitalité, Saturne le gratifie d’une deuxième tête adossée à la première.

Janus tire son nom de janua, la porte. Il possède un petit temple sur le forum de Rome. Pour se rendre au combat, l’armée doit obligatoirement passer par la porte qu’il commande, porte qui est fermée en temps de paix.

Il est représenté, un bâton dans la main droite et deux clés, l’une d’or et l’autre d’argent dans la main gauche.

Sa tête est composée de deux profils adossés. A l’origine, le droit était imberbe et juvénile et le gauche barbu et âgé.

Janus, dieu des portes, est celui qui donne accès ailleurs, qui fait passer d’un monde dans un autre, du connu à l’inconnu. Il préside aux entrées et aux sorties. Il est le dieu des transitions et des passages.

Il est au commencement. Le premier mois de l’année lui est consacré.

Il incarne le cycle, plus particulièrement le temps cyclique matérialisé par l’année, c’est-à-dire une durée temporelle avec une fin et un début, un fin qui jouxte le début.

Janus incarne l’année fondamentalement ambivalente avec une phase ascendante jusqu’au solstice d’été et une phase descendante jusqu’au solstice d’hiver.

L’année se charge ainsi d’un symbolisme ambivalent, optimiste, à l’image du profil jeune de Janus grâce à la certitude de revenir au commencement, pessimiste comme le profil âgé de Janus par son avancée inéluctable vers la fin.

Janus, le dieu au double visage, regarde à la fois en direction de la face ascendante et descendante du soleil.

Gardien des portes solsticiales ouvrant sur ces deux phases, il est le détenteur de deux clés. La clé d’or ouvre ou ferme la voie ascendante vers la lumière ou la connaissance spirituelle. La clé d’argent ouvre ou ferme la voie descendante vers l’obscurité ou l’ignorance spirituelle.

Gardien des portes, maître du passage, permettant l’entrée, le franchissement de la porte, Janus est le dieu de l’initiation au mystère.

La porte des hommes associée au solstice d’été et à Saint Jean-Baptiste donne accès aux petits mystères qui permettent à l’homme de se recentrer sur lui-même.

La porte des dieux, associée au solstice d’hiver et à Saint-Jean l’Evangéliste, donne accès aux grands mystères qui permettent d’atteindre l’état spirituel.

Les feux extérieurs de la Saint-Jean sont autant de sources de la lumière visible, pâle reflet de la véritable lumière invisible.

Le feu intérieur de la bûche dans l’âtre symbolise la lumière de l’être pleinement accompli.

Les religions judéo-chrétiennes ont remplacé le temps cosmique circulaire par le temps linéaire. L’ère chrétienne a marqué la fin du règne officiel de Janus. Il subsiste toutefois scindé en deux Saint Jean-Baptiste et Saint-Jean l’Evangéliste.

Pour les Francs-Maçons, gardiens des portes, il est le maître du passage du monde profane vers le monde spirituel ou sacré, il est le maître de l’initiation.

 

LA LUMIERE

 

Elle est présente à tous moments au cours de la vie maçonnique. Notre loge s’intitule lumière vellave, une autre dans la région 11, la lumière de Jean. Dans tous les rites, le profane, lors de son initiation, reçoit la lumière, une faible lumière.

Dans les instructions au deuxième degré, il est dit : où se tiennent les compagnons dans la loge ?

Sur la colonne du midi.

Pourquoi ?

Parce qu’elle est la plus éclairée et que leur degré de connaissance initiatique leur permet de supporter la lumière du jour.

Le thème de la lumière s’applique à des choses diverses en apparence. Le rituel d’initiation nous mène à sortir progressivement des ténèbres pour nous amener graduellement vers la découverte de la lumière.

« Pourquoi vous êtes-vous fait Franc-Maçon ?

Parce que j’étais dans les ténèbres et que je désirai voir la lumière »

Toute loge maçonnique doit être orientée, au moins symboliquement d’est en ouest, ce qui rappelle la course du soleil. Les officiers sont appelés lumières. Trois lumières dirigent la loge, cinq l’éclairent et sept la rendent juste et parfaite.

A l’ouverture de chaque tenue, le vénérable maître, qui détient la lumière, la communique aux deux surveillants, ce qui permet de procéder à l’allumage des piliers sagesse, force et beauté et de communiquer ainsi la lumière à toute la loge.

D’autres symboles peuvent être observés. Sans vouloir être exhaustif, je citerai le soleil, la lune, le chandelier, le delta lumineux…

Au grade de compagnon apparaît un nouveau symbole lumineux, l’étoile flamboyante, avec sa mystérieuse lettre G.

Que représente la lumière ?

Pour moi, c’est le symbole de la naissance, de la vie. Le jour se lève, les hommes parent au travail, c’est la naissance de l’apprenti à la vie maçonnique au moment même où on lui enlève le bandeau, ébloui par la lumière.

C’est aussi un symbole de clarté, de découverte, de lucidité avec tout ce que cela peut impliquer de dur, d’impitoyable.

Tout est mis à nu, découvert sans complaisance. On ne peut plus tricher. C’est le regard perçant que le Franc-Maçon doit porter sur le monde.

La lumière, c’est aussi un symbole d’intelligence, la petite étincelle de compréhension.

Le Franc-Maçon a les yeux ouverts. Il doit essayer de regarder au-delà des apparences. Il doit essayer de discerner le vrai du faux, le juste de l’injuste, la réalité du mensonge.

La lumière est enfin symbole de chaleur. Elle est ce qui réchauffe, c’est la fraternité, l’amour, la générosité.

Cette lumière que l’on nous a donnée, il faut la protéger, l’alimenter et la transmettre. C’est seulement à ce prix que nous pourrons être considérés comme les fils et les filles de la lumière.

Les fêtes solsticiales (autour des 21 juin et 21 décembre) ne reflètent pas le caractère des saisons.

Le solstice d’hiver, saison habituellement froide, triste et sombre, inaugure en fait, le début de la phase ascendante du soleil dans le ciel vers la lumière.

Le solstice d’été, saison d’ordinaire chaude, joyeuse et claire, annonce au contraire la phase descendante de l’astre vers l’obscurité. Les deux symboles du feu terrestre et céleste se retrouvent dans les deux solstices et dans les deux fêtes de Saint-Jean.

La Saint-Jean d’été est une fête populaire se déroulant à l’extérieur et célébrée  dans la liesse.

La Saint-Jean d’hiver, au contraire, est une fête intérieure commémorée dans l’intimité du foyer.

Au solstice d’hiver, le soleil est au plus bas sur l’horizon. Il semble stationner et ne plus avoir la force de remonter jusqu’au zénith, siège du solstice d’été.

A l’image de la nature, l’homme est dans une phase de repli sur soi, de concentration. Il fait le bilan de son action passée. C’est le moment propice à la méditation. Le maçon ne peut rester insensible au symbolisme du solstice d’hiver qui induit le retour au printemps.

Le Christ est né au solstice d’hiver : « il faut qu’il croisse pour que je diminue » nous dit Saint Jean- Baptiste qui lui est né le jour du solstice d’été.

Le solstice d’été prélude à l’envahissement de l’ombre alors que le solstice d’hiver annonce la progression vers la lumière.

La route qui monte vers le soleil est plus attirante que celle qui s’enfonce dans l’ombre comme le chemin de la vie si facile à monter et si dur à redescendre.

« Regardant vers l’orient au soleil levant un matin un coq chantait.

Regardant au zénith le soleil éclatant un midi un aigle planait. »

Le coq est universellement un symbole solaire parce que son chant annonce le lever du soleil.

L’aigle, quant à lui, est capable de s’élever au dessus des nuages et de fixer le soleil. Il est lui aussi considéré comme un symbole solaire.

Le coq annonce le passage de la nuit à la lumière. Il est présent dans le cabinet de réflexion.

Quand le coq a chanté, on enlève le bandeau et l’on est ébloui comme l’aigle qui fixe le soleil.

Saint Jean-Baptiste,  c’est le coq représentant le passé vécu, indispensable au renouveau, c’est le profane.

Saint-jean l’Evangéliste, c’est l’aigle représentant la lumière indispensable à l’avenir qui va naître, c’est l’initié.

 

En rédigeant cette planche, j’ai compris ces quelques mots de notre vénérable maître à l’issue de notre initiation avec Claire le 24 avril 2004.

« Cette sagesse inaccessible, que nous appelons lumière, certains la nomment vérité, d’autres la connaissance, et d’aucuns la foi. Elle ne se matérialise pas en flamme ou en lueur visible, elle restera à jamais voilée au regard de l’homme ordinaire. Je me contenterai de vous dire que la lumière maçonnique représente une mise à jour de vos imperfections pour mieux les combattre, une clarification de vos opinions, de vos jugements, un moyen de contrôle de vos sentiments et de votre lucidité, un coup de projecteur vers les parties sombres de votre moi intérieur. »

Il m’était difficile de conclure mon propos sans dire quelques mots sur le prologue de jean.

L’ouverture d’une loge nécessite dans tous les rites, l’installation des trois grandes lumières : le compas, l’équerre et le volume de la loi sacrée.

Si pour nous à « Lumière Vellave », c’est la constitution internationale de l’ordre mixte international Le Droit Humain, pour d’autres, ce peut être la bible ouverte au prologue de Jean.

Pour Jean, la lumière symbolise avant tout le Christ révélé aux hommes, l’esprit qui illumine le croyant, la foi.

Pour moi, ce prologue symbolise la lumière qui est en tout homme et c’est ce postulat, cette espérance, qui fondent la quête du franc-maçon, fille ou fils de la lumière.

En Franc- Maçonnerie tout est symbole et la lumière de Jean est maçonnique et/ou divine, à chacun de choisir.