Une mixité historique
Le 4 avril 1893, deux esprits résolument modernes, Maria Deraismes et Georges Martin scellaient la fondation de la première Loge mixte LE DROIT HUMAIN. Ils décidaient ainsi de braver les conformismes et les préjugés, qui tenaient les femmes éloignées de la Société et de l’initiation en Franc-Maçonnerie.
RAPPEL DE QUELQUES ELEMENTS HISTORIQUES
Au début du XVIIIe Siècle, quand la Franc-Maçonnerie contemporaine s’est mise en place, l’une des premières préoccupations de ceux qui l’ont structurée fut de lui trouver une origine digne du projet qu’elle voulait développer. Les Constitutions d’Anderson de 1723 parlent d’une transmission initiatique ininterrompue depuis Adam ; par ces origines mythiques, elle couvrirait ainsi toute l’humanité connue des auteurs des Constitutions. A travers ces mythes fondateurs, c’est une volonté d’Universalisme qui se dégage : la Maçonnerie est de toutes les époques et concerne tous les hommes.
La première Grande Loge
Il est coutumier de dire que le 24 juin 1717 se sont réunies 4 Loges à la Taverne « L’oie et le Grill » pour fonder la première Grande Loge de l’histoire devenue par la suite la Grande Loge Unie d’Angleterre.
Les Constitutions D’Anderson
En 1723 sont publiées les Constitutions dites d’Anderson; c’est le premier texte qui donne à la Franc-Maçonnerie ses lois. Et sa parution en Angleterre fixe la naissance de la Franc-Maçonnerie « moderne », dite « spéculative ».
Dès le XVIIIe Siècle, les loges de travail maçonnique essaiment rapidement vers l’Europe continentale, avec un fort développement en France, dans de nouvelles Obédiences qui prennent leurs distances à l’égard des exigences anglo-saxonnes notamment par rapport aux religions. Elles proclament leur volonté d’œuvrer au Progrès de l’Humanité.
Une Franc-Maçonnerie sans les femmes
Au-delà des divergences entre Obédiences par rapport aux Constitutions anglo-saxonnes d’Anderson, un principe demeurait intangible, celui de la stricte non-mixité, les Constitutions d’Anderson ne précisaient-elles pas en 1723, que pour être Maçon, il ne fallait être « ni libertin irréligieux, ni une femme… »
En 1773, soit 50 ans plus tard, le Grand Orient de France (G.O.D.F.) voit le jour. Puis ce sera le tour de La Grande Loge Symbolique Ecossaise (G.L.S.E.) en 1880, Obédiences alors strictement masculines.
La place des femmes
La fondation du « DROIT HUMAIN » se situe à la fin du XIXe Siècle. La société française change, et des femmes commencent, avec quelques hommes, un processus de réflexion sur la condition féminine.
A partir de 1865, Maria Deraismes, femme de lettres reconnue, journaliste et oratrice de talent, engagée dans les luttes sociales, principalement l’émancipation féminine, attire l’attention des Frères du Grand Orient De France qui l’invitent à animer des conférences dans leurs Loges, sous l’égide de leur Obédience.
Parallèlement, le Dr Georges Martin, Conseiller général, Sénateur de Paris, et Franc-Maçon de la Grande Loge Symbolique Ecossaise, menait campagne pour l’admission des femmes en Franc-Maçonnerie. Car comment prétendre œuvrer au Progrès d’une Humanité que l’on amputerait de la moitié de ses membres ? Cette question primordiale interpella rapidement d’autres Frères qui se mobilisèrent auprès des instances de leurs Obédiences, afin de faire accepter les femmes au sein de leurs loges.
La Transgression
Face aux refus répétés, les Maçons de la Loge « Les Libres Penseurs du Pecq » décident d’intégrer Maria Deraismes dans leur Loge. Ils l’initient à la Franc- Maçonnerie en 1882. Cette Loge avait ainsi transgressé l’un des principes des Constitutions d’Anderson. Rapidement des difficultés s’élevèrent au sein de la Loge « Les Libres Penseurs » qui avait commis cet acte révolutionnaire d’initier une femme, tant et si bien que plusieurs Frères abandonnèrent cette loge qui périclita.
Maria Deraismes, afin de ne pas gêner la Loge qui l’avait initiée et qu’on menaçait de fermer, avait cessé d’assister à ses réunions. Mais elle n’avait pas davantage renoncé.
Son salon était plus que jamais un lieu de rendez-vous des maçons et plus particulièrement de ceux qui avaient applaudi à son initiation. Chaque année, la question de l’initiation des femmes était à nouveau soulevée dans leurs Ateliers respectifs et le Frère Georges Martin se faisait particulièrement remarquer par son acharnement, en dépit de ses échecs renouvelés. Les années passaient sans que la situation se modifie.
Personne ne peut dire aujourd’hui dans quel esprit naquit l’idée de fonder une Obédience nouvelle où les hommes et les femmes seraient également admis et initiés, sous la réserve des conditions d’usage. En tous cas, l’idée chemina et au bout de 10 ans d’essais infructueux, le Frère Georges Martin choisira la voie de l’audace et de la révolution.
LA PREMIERE LOGE MIXTE « LE DROIT HUMAIN »
Pour créer une loge mixte, il faut avoir des membres fondateurs et parmi eux des femmes initiées. Maria Deraismes convoqua chez elle le 1er juin 1892 un certain nombre de femmes susceptibles de subir l’initiation maçonnique; s’engage alors le processus qui conduit au 4 avril 1893. Ce jour-là, Maria Deraismes initie treize profanes, toutes des femmes.
A l’issue de la cérémonie le Frère Georges Martin demande son affiliation à la nouvelle Loge en qualité de membre actif.
La Grande Loge Symbolique Ecossaise de France « Le DROIT HUMAIN » était née et avec elle la Franc- Maçonnerie mixte ; Maria Deraismes précise que l’heure est venue pour la femme de se grouper pour marcher à la conquête de droits égaux à ceux de l’homme et que c’est en vue de ce but à atteindre qu’elle fonde cette Grande Loge, ouverte à tous sans distinction de sexe, de race, de nationalité.
Dans le courant de l’année 1893, l’état de santé de la Sœur Maria Deraismes s’aggrave et elle disparaitra prématurément en 1894, 28 ans après sa première conférence au G.O.D.F. et 10 mois après la création du DROIT HUMAIN. Elle a laissé ce message : « Je vous laisse le Temple inachevé ; poursuivez entre ses Colonnes, le Droit de l’Humanité ». Le Frère Georges Martin et les Sœurs fondatrices de cette première Loge vont assurer la relève.
L’Obédience historique de la Mixité
Le DROIT HUMAIN est donc né de la volonté de supprimer une injustice en permettant aux femmes d’accéder à la Franc-Maçonnerie, à égalité avec les hommes.
En créant le DROIT HUMAIN, ses fondateurs marquent une irréversible évolution, affirmant l’égalité de l’homme et de la femme devant l’initiation maçonnique. Ainsi toutes les Loges sont-elles mixtes depuis sa création en 1893.
Ce principe fondateur est traduit dans l’article 1 de sa Constitution : « L’Ordre Maçonnique Mixte International LE DROIT HUMAIN affirme l’égalité de l’homme et de la femme. En proclamant LE DROIT HUMAIN, l’Ordre veut qu’ils/elles parviennent sur toute la terre, à bénéficier, d’une façon égale, de la justice sociale dans une humanité organisée en sociétés libres et fraternelles. ».
Pour plus de détails :
– L’Ordre Maçonnique Mixte « Le Droit Humain », PRAT Andrée, Que sais-je? , PUF, 2013
– Regards sur Maria Deraismes, La liberté de pensée, EDITION CONFORM, 2010